Vingt dieux
Louise Courvoisier
Avec Clément Faveau, Maïwène Barthelemy, Luna Garret
- France
- 2024
- 1h30
- Tout public
Totone, 18 ans, passe le plus clair de son temps à boire des bières et écumer les bals du Jura avec sa bande de potes. Mais la réalité le rattrape : il doit s’occuper de sa petite sœur de 7 ans et trouver un moyen de gagner sa vie. Il se met alors en tête de fabriquer le meilleur comté de la région, celui avec lequel il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30 000 euros.
Quand la jeunesse s’en mêle – Critique de Chloé Cluzel (Université de Caen)
Le voyage des goûts et des couleurs donne le ton à ce film aux milles nuances, aux milles saveurs. Vingt Dieux, écrit et réalisé par Louise Courvoisier, est un film oscillant entre le drame et la comédie où les pulsions de colères se mêlent aux battements de cœurs puis viennent finir leur courses dans de petits recoins de sourires esquissés. C’est un havre de paix d’une durée d’une heure trente dans lequel on se plonge. On y retrouve dans leur plus bel apparat ; les champs, la forêt et les vaches ; de terre et de lait.
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Ce film raconte par les thèmes de la famille, de l’amour, du travail et de l’ambition l’histoire de Totone, qui, âgé de 18 ans, se voit du jour au lendemain obligé de subvenir aux besoins de la famille qui lui reste, en tentant de trouver un moyen simple et rapide pour gagner de l’argent. Sur son chemin de campagne, et dans le milieu dans lequel il a grandi, ce qui s’avère être le mieux pour honorer le savoir-faire de sa famille et de ses proches, c’est de fabriquer le meilleur comté de la région, grâce auquel « il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30 000 euros ».
C’est une décision importante et pas anodine pour autant. Car en ayant volé le lait gagnant de l’année précédente pour se lancer dans sa fabrication, Totone tentera malgré tout d’arranger les pots cassés, en assumant ses choix, aussi immoraux soient-ils. Le processus de fabrication du comté s’expose dans ce film comme la recette parfaite de la croissance chez l’adolescent. Car quand la croûte extérieure s’accommode à rendre visible la solide carapace derrière laquelle se cache Totone, il en découle alors un fin brin de sentiments venant emballer le cœur de ce dernier.
C’est exactement lors de ces scènes de fabrication du comté que l’on comprend, à la fois la détresse de Totone, mais également la volonté déchirante qui l’anime et qui lui permet de voir plus grand, peut-être un peu trop d’ailleurs, ce dont il désire. Ses multiples tentatives pour arriver à ses fins sont déterminantes et permettent, les unes à la suite des autres, de comprendre métaphoriquement comment lui-même fabrique sa propre renaissance.
C’est pourquoi, ce qui pourrait s’amener tel le récit initiatique d’un jeune garçon plein d’ambition, perdu dans les méandres d’un désespoir endeuillé, va en réalité se mêler à la douceur d’une fiction, où grandir et prendre sa vie en main rime avec maturation. D’abord, il coagule, il caille, puis il s’affine. On dit que, quand il est trop jeune, il a encore tout à apprendre, qu’il manque de goût et que seul le temps saura faire les choses. Mais n’est-ce pas simplement à travers cette volonté qu’a Totone de considérer le monde, l’amour et l’amitié tel un ferment qu’intervient la nature olfactive du film ? Et ce, au croisement de son caractère et de sa texture.
L’affaire de famille et d’amitié joue sur le sensible barbelé de la vie. Celui qui pique, qui écorche. Celui sur lequel on s’appuie quand le fil lui-même n’est plus apte à délimiter le cadre. L’univers dans lequel on entre est léger et pesant à la fois. Il y a comme une binarité naturelle vouée à nous tenir la main et nous serrer le cœur. Que ce soit dans son fond ou dans sa forme, le travail d’équipe aura toujours primé sur ce film. Il aura toujours su manier, du bout des doigts, la réalisation d’une œuvre qui rend fiers ses créateurs et spectateurs. Et au cinéma comme dans les champs, il n’y a qu’à celui ou celle qui y plonge à cœur joie que le monde de couleurs et d’odeurs s’octroie.
Au-delà du voyage qu’il nous donne à voir, Vingt-Dieux a la grande capacité de nous mener par la main à entrer dans ces paysages, en nous ouvrant le regard sur ces plaines. Pleines de vie. Il y a comme l’envie de faire revivre aux spectateurs les plus belles années de la jeunesse au cinéma. En ces temps où le western formatait le cadre et où la Nouvelle Vague creusait le fond.
Vivre jeune, c’est vivre sous l’émotion. Vivre libre, avec passion. Et ces jeunes acteurs, qui n’ont pour certains de professionnel que l’aspiration, permettent à tout spectateur qui accepte le voyage l’identification. C’est, pour les plus âgés, un retour dans le passé, et pour les plus jeunes, un moyen de croiser les aînés. Plus besoin de mots quand l’image parle d’elle-même, quand elle recèle en son sein toute la beauté d’un monde vivant de ses richesses et riche de ses prouesses.
Dans les salles, la fierté des spectateurs semblait planer sur l’assemblée. À l’instar de cette ambiance familiale que les dégustations de fromage d’après-film faisaient ressentir. Il y en a pour qui observer, vivant, sur grand écran, ce quotidien appréhendé dans son ensemble et méconnu en son centre a suscité de vives réactions. Ils semblaient s’être reconnus. C’était exactement comme lors de ces grands banquets de villages ou ces comices. Ces rassemblements où rires et larmes se mêlent et où le choix entre hédonisme et épicurisme s’improvise sur l’instant.
La passion du milieu agricole les lie les uns aux autres, des plus jeunes aux plus âgés. Comme vocation personnelle ou héritage familial, le geste se répète de génération en génération et de maîtres en apprentis. C’est en cela que l’on voit que c’est dans la complexité la plus profonde et la difficulté la plus intense de ce domaine que naît la beauté de ces images.
Mais dans ce monde, tout n’est pas beau. Parfois, les choses se meurent, se divisent, se brisent. Alors, à l’heure où les campagnes se voient assiégées par les machines, où tous les deux jours en France une vie paysanne se termine par choix, et où prendre d’assaut le gouvernement en tracteur ne suffit pas, il y en a qui, par le cinéma, parviennent à exprimer ce que la douceur d’une vie des champs n’a d’égale qu’une volonté d’être reconnue aux yeux de tous. N’en déplaise à ceux qui pensent la campagne tel un territoire vide de toute vie pertinente, sachez que l’ignorance de vos mots affirme la complaisance de vos maux. Car, quand la légèreté des espaces verts nourrit la plénitude de ces gens, on omet souvent, quand on y met les pieds, l’accueil chaleureux et familier qui nous y est offert.
Dans ce film, le milieu agricole reprend ses droits et l’honneur qui lui est dû. Un domaine sans lequel nul ne saurait vivre et qui, pour autant, est en train de se mourir. Trop peu considéré par les plus élevés, viendra le jour où l’agriculture saura accepter de ces têtes butées mille excuses dévouées.
Pour donner à leur sujet l’importance et le poids de leurs pensées, les écrivains de ce récit, à savoir Louise Courvoisier et Théo Abadie, ont brillamment su mêler la gouaille à l’écriture, en prenant en considération, comme parti pris esthétique voué à rendre le film plus réel, l’accent à l’inTotoneation. Alors, à travers ces moyens, l’humour parvient, par des expressions propres à ceux qui les emploient, à laisser transparaître la fougue de cette jeunesse rurale et la bienveillance de ces adultes passionnés.
Comme tout bon repas qui arrive à son terme, rendons au temps du fromage son importance gustative. Vingt-Dieux que c’était bon ! C’est précisément ce que diront les amoureux du fromage après avoir vu ce film, car parmi plus de 1200 variétés, le film réussit à mettre en lumière le savoir-faire de celui que les Franc-Comtois définiront comme étant le meilleur, et comme son nom l’indique, il importe de le nommer : le comté.
L’expérience olfactive dont nous sommes les spectateurs n’est que le point de départ de ce qu’est la sincérité à l’amour. Car la finesse de cette représentation du Jura n’est que pure humilité. C’est écrit et réalisé avec le cœur, et ça se sent ! Louise Courvoisier a su mettre l’accent sur la beauté du milieu agricole dans son ensemble, et pour une fois au moins, ce qui fait la particularité des terres jurassiennes et de ceux qui y vivent est mis en valeur sans artifices ni mensonges. C’est clivant de vivacité.
La vivacité d’une jeunesse qui veut pouvoir se prouver à elle-même qu’elle mérite sa place dans ce monde où ceux qui pensent sont ceux qui décident. En résulte alors la douce prouesse que de parvenir à rendre le Jura et ses petites vies aussi authentiques qu’elles ne le sont déjà. Bravo.
Pensé et rédigé par Chloé Cluzel
Étudiante en Master 1 en Recherches et Études Cinématographiques,
Université de Caen Normandie.